Cette voix, c'est celle de Krystle Warren, une américaine que le pianiste Eric Legnini découvre pour la première fois sur
le plateau de One Shot Not et avec qui il improvise un boeuf qui ne passera pas inaperçu. Rendez vous est donc pris pour une rencontre inspirante qui s'avèrera très fructueuse, comme le prouve la
qualité de leur collaboration ici présente. Mais par homonymie, c'est également celle qu'il a décidé de suivre depuis qu'il ne souffre plus d'avoir à assumer toutes les influences qui
l'inspirent. Cette voie dont les chemins sont pluriels et infinis, il n'hésite plus à l'emprunter ouvertement, au point de tout incorporer sans restriction sur ce très bon dernier disque, "The
Vox", qui, autant vous le dire, est pour moi parmi les plus belles réussites du genre ouvert sur la sphère jazz de cette année. La formulation peut paraitre surprenante mais je m'explique.
Parce que du jazz, bien sûr, il y en a. C'est même le canevas de tout ce qu'il entreprend depuis maintenant plus de 20
ans, de Stefano Di Batista aux frères Belmondo en passant par Claude Nougaro ou Aldo Romano. Mais pourquoi ne devoir se limiter qu'à cela dès lors que l'on sait et que l'on peut s'entourer de
très bons musiciens, tous capables de porter un projet aussi pertinent et ouvert que celui-là, chacun apportant son expérience au service d'une même ambition. L'ouverture opère donc
naturellement, comme un photographe manquant de lumière ouvrirait logiquement le diaphragme de son objectif pour rechercher l'accord parfait entre le sujet et le rendu. Du coup, on retrouve
ici de l'affrobeat, de la soul, du gospel, du funk, une rythmique qui groove comme il faut, sans tapage ostensible, une basse ronde, des cuivres aux attaques soulignant ponts ou refrains, pas
plus, des percussions enregistrées sur le sol africain (une volonté de Legnini), et puis l'accord entre le piano ou le rhodes et la voix. Coulant, harmonieux, respirant et très bluesy pour l'un.
Chaude, profonde, suave et rocailleuse pour l'autre. Un déferlement iconoclaste de 11 titres aux goûts variés qui sillonnent de bout en bout toutes les productions; un régal pour les oreilles et
les sens et qui, de plus, porte en lui l'avantage de pouvoir toucher un auditoire d'aficionados, pour beaucoup déjà conquis par les précédents albums de Legnini, comme de néophites, ces derniers
étant souvent bousculés dans le choix de leurs pertinences lors de l'achat de disques par les codes et les appréhensions schématiques que peut porter le jazz auprès des "non initiés", forcément
un peu perdus dans ce milieu d'apparence fermée, mais en réalité bien plus riche et ouvert que l'on voudrait bien le croire. Pour eux, certainement que "The Vox" pourrait être un premier pas
salvateur vers cette terre si fertile mais trop souvent laissée en jachère par les médias et les "vendeurs" de cultures.
Dans cette partie ci du monde, pas de chorus à répétitions, hormis forcément ceux du leadeur, et donc du piano. Pour le
reste, ou dirai-je plutôt, pour The Afro Jazz Beat, l'appelation d'origine controlée qu'a "labélisée" E.Legnini pour la formation qui l'accompagne, tout est très écrit et très bien "cadré", voir
encadré. Même les morceaux ne débordent jamais au delà de 6 mns (6.15 pour "Canyon Lady"). Un certain "formatage" qui peut surprendre, mais qui personnellement ne me choque pas du tout. Le monde
est vaste et suffisament nourricier pour ne jamais avoir à mourir de faim. "The Vox" offre le gite et le couvert pour tous, d'où que vous veniez.